Marche et rafraîchis ta vie ma fille !

GR 65 : chemin de randonnée qui consiste à rejoindre Santiago de Compostela en Espagne à partir de différents points de départ au choix. "Vas-y, marcher et rafraîchir ta vie ma fille !" me répétaient souvent à tour de rôle mes parents pour l'avoir emprunté.
Été 2017 : déclic, je décide de tenter l'aventure en solo.


Le Puy en Velay, 6H00 du matin. Cela démarre fort dans l'auberge de jeunesse. J'ai mon sac à dos de randonnée, mon topo-guide, mes astuces anti-ampoules, de quoi boire et manger. Les yeux à moitié ouverts, petit café au lait, céréales, fruits secs, protéines, debout ! Échanges des appréhensions de part et d'autre du peloton des marcheurs. Tu l'as déjà fait ? C'est comment ? Tu dors où ? Tu as quoi comme chaussures ? Tu as le numéro de la Malle Post ? Je peux voir ta carte IGN ? Tu l'as entendu ronflé cette nuit ? On marche ensemble ?
Je commence donc à marcher...seule ! C'est important pour moi parce que cette marche je voudrais qu'elle soit un moment ressource, une sorte d'introspection. Du moins, c'est ce que j'avais au départ en tête. Premiers doutes. Mais pourquoi marcher au juste ? Dans quel but ? Parce qu'il faudrait toujours un cap, un sens pour se mettre en mouvement ? Je ris. Je suis coach professionnelle et formatrice. J'accompagne les pratiques managériales et opérationnelles. Je défends la bonne organisation, la définition claire des priorités et des objectifs SMART, clairs, simples, accessibles à atteindre pour rendre le quotidien plus motivant et efficace. Et si mon objectif était de ne pas en avoir ? Qu'est-ce cela changerait de sortir de ma zone de confort et de plonger hors des sentiers battus ?
J'avance de manière linéaire sur les chemins de Compostelle. J'ai vaguement une idée de ma première fin de journée et de là où j'ai envie d'arriver. Cette marche est linéaire, je n'ai pas de sommet à atteindre.

D'abord observer mon environnement et formuler mes attentes. Je ressens mon corps et commence par découvrir des muscles que je ne soupçonnais pas. J'écoute aussi les bruits de la nature, des oiseaux, du ciel grisâtre. Je vois des arbres, des champs, des vaches, des chevaux, des chèvres. Je m'arrête dans les champs aux meules de foin impérieuses. Tout me semble si nouveau, et pourtant je viens de la campagne. Je ne suis pas tout à fait rassurée : j'avance vite très vite, peut-être trop vite sur cette première marche. Je suis en contrôle, voire même en surcontrôle. Je veux pourtant que cette marche soit agréable et harmonieuse.
Une sortie de zone de confort ne s'improvise pas, l'idée n'est pas de se mettre en danger.
Je liste alors tous mes ingrédients et carburants de départ : j'ai mon équipement, je me suis mentalement mise en condition et je ne vais pas mourir au milieu de la forêt dévorée par l'affreuse bête du Gévaudan aussi attirante qu'un manager hyper directif et contrôlant ! 

Reprendre mon élan et continuer la marche. Mon pas est plus sûr, mes baskets jouent avec les sols différents. Je m'aperçois que l'environnement est bien ficelé : la diversité des espèces permet la complémentarité et le maintien de l'écosystème. Le petit bourdon a besoin des fleurs bleutées du chardon pour se nourrir, le chardon a besoin du petit bourdon pour se développer. Je me remets aux photographies en mode macro et m'émerveille de l'infiniment petit. Arrêt sur une fourmilière, qu'est-ce que cela travaille là-dedans et sans Code du Travail. Le système se régule entre les petites fourmis, les grosses, les jeunes, les seniors, les rapides, les lentes, les rougeâtres, les noirâtres, ah il y en a même une qui ressemble à un clown ! C'est un gendarme ma chère, un intrus dans la fourmilière ! Cela fonctionne tout de même.
En zone d'inconfort, le champ des possibles est ouvert, tout peut arriver.
Je mets alors en place mon petit système de vigilance pour m'assurer qu'à chaque étape de cette marche mes voyants sont au vert. Mon rythme cardiaque est un formidable indicateur. S'il accélère, c'est que je vais trop vite, que cette zone d'inconfort peut se transformer en cauchemar absolu et me faire prendre le bus navette fissa pour retourner chez moi !

Me stabiliser et m'ancrer dans la marche. Je reconnecte avec l'espèce humaine. C'est tout un système de solidarité que je découvre. Radio Compostelle, le bouche-à-oreille des marcheurs, qui permet tout le long du chemin de s'entraider. Une telle a perdu sa chaussette, un autre a cassé son bâton, elle n'a pas de quoi manger ce midi, il s'est fait piqué par une guêpe, le groupe a loupé l'intersection, elle n'a pas d'endroit où dormir ce soir, alerte punaises de lits ! Les rencontres sont incroyables, surtout en fin de journée où l'on décide de s'arrêter chacune et chacun pour des moteurs divers. Nous nous arrêtons de marcher pour devenir individuellement plus ouvert, plus à l'écoute, plus disponible à l'autre. De gîte en gîte auto-géré pour la plupart, des moments fabuleux se produisent. Sur les chemins de St Jacques de Compostelle, c'est différent d'ailleurs, des autres GR. C'est un système qui favorise concrètement l'intelligence collective et la bienveillance, peu importe vos origines, peu importe vos motivations, pourvu que vous vous y sentiez bien.
C'est hors des zones de confort et d'inconfort que se produit bel et bien la magie. 

Je n'avais pas franchement d'objectifs en réalisant cette marche. Le goût de la cueillette et des mûres sauvages, le parfum végétal des pins, les sons mélodieux de la nature, les formes souriantes des visages chaleureux lors des instants conviviaux partagés, voilà avec quoi je repars de cette expérience. De la fierté aussi, la résultante de cette marche, c'est aussi 30 kms par jour en moyenne en 6 heures de temps, aucune ampoule, de bonnes heures de sommeil, de la nourriture saine, des échanges enrichissants, de la gratitude, beaucoup, et de nouvelles amitiés authentiques. Je remercie infiniment toutes les personnes qui m'ont mise sur le chemin.
Défocaliser des objectifs, emprunter les itinéraires bis, opérer une marche consciente pour obtenir de grandes avancées : de quoi inspirer et fédérer.
 C'est avec un petit quelque chose en plus, une petite cerise sur le gâteau que je reviens à Paris : j'ai réellement rafraîchi ma vie, le plein de petits pas pour réenchanter le quotidien urbain.


Je m'aperçois que la marche se diffuse comme un nouvel art de vivre, un nouvel état d'être. Nous sommes plusieurs consœurs, confrères et personnes d'horizons divers à avoir vécu et transmis notre expérience. Et votre propre marche alors, comment la voyez-vous ?!



Guillemette

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